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NOTES DE CONCEPTION

NOTES DE CONCEPTION

Une disposition de clavier doit répondre à plusieurs critères mesurant son efficacité et KLAnext est un outil d’aide à la décision bien pratique. Pour autant, créer une bonne disposition ne se limite pas à faire un high-score avec KLAnext. Certains critères ne sont pas si bien évalués et d’autres sont carrément ignorés.

Traditionnellement, une bonne disposition doit :

  • réduire la distance parcourue par les doigts,
  • répartir la charge de travail selon la force des doigts,
  • réduire les digrammes sur un doigt (que j’appelle «collisions»),
  • équilibrer le travail des mains, et
  • veiller à une bonne alternance des mains.

À ces critères, gérés par KLAnext, il faut ajouter les « roulements » qui doivent être favorisés, et les « croisements » qui doivent être évités.

Le travail des doigts

Cet aspect est assez facilement réglé. Une fois qu’on a placé les 8 lettres les plus fréquentes directement sous les doigts, et les moins fréquentes dans le rayon d’action des auriculaires, toutes les permutations des autres lettres sur les emplacements restants n’ont qu’un impact limité sur le travail des doigts. Surtout, d’autres critères prennent le pas sur celui-ci.

L’alternance des mains

Cet autre aspect est également facilement résolu. Le plus simple est de mettre toutes les voyelles d’un côté et toutes les consonnes de l’autre. Forcément, il va être impossible d’écrire une phrase avec un seul côté du clavier. Le seul point un peu délicat c’est qu’il faut forcément mettre quelques consonnes du même côté que les voyelles, mais trouver lesquelles n’est pas un exploit.

Par rapport au Bépo, il m’a semblé necessaire de transférer le X à droite, à cause de tous les pluriels en EUX, et (E)AUX. Écrire « deux beaux appeaux à oiseaux » en Bépo est assez laborieux pour la main gauche. En plus le X est fréquemment entre deux voyelles. Avec les consonnes, il se combine essentiellement avec C, P, et T, toutes trois sur l’index.

D’un autre côté, le J peut-être transféré à gauche. À moins de causer « bijoux » toute la journée, le J est rarement associé au I et au Y.

Le W qui est une semi-voyelle comparable au U peut-être transféré à gauche sur le même doigt que le U sans risque de créer beaucoup de collisions. Par ailleurs cette lettre doigt être rapprochée pour l’anglais.

Enfin le P peut rejoindre le groupe de consonnes gérées par l’index droit qui se marient assez peu entre elles.

Le B peut rester à gauche mais doit quitter la colonne du A. Il y a assez peu de digrammes BU ou même BÉ en français, bien moins que de BA et AB en tous cas. Comme rien n’est parfait, on peut trouver des mots un peu délicats à saisir comme «début».

Les collisions

« Collisions » est le terme que j’emploie pour les digrammes sur un doigt (comme « ba » en Bépo, ou « bé » en Optimot). Les collisions ralentissent la frappe (d’où le nom que je leur donne). Les collisions des auriculaires sont les plus éreintantes, celles des index les plus acceptables.

La plus grosse partie du travail mené sur Optimot consiste à réduire les collisions. Car en plus de réduire la fatigue, éviter les collisions augmente de beaucoup la vitesse de frappe.

Un point essentiel a été de déplacer l’apostrophe. Il y a pas mal de collisions impliquant l’apostrophe et C ou T en Bépo. La seule restante en Optimot est « ’h » bien moins fréquente.

Les roulements et les croisements

Les « roulements » consistent à presser une touche avant que la précédente soit relâchée. Ce n’est pas une fin en soit mais c’est certainement que les deux touches sont adjacentes sur le clavier (ou assez voisines). Il est naturel de faire un roulement quand cette situation est rencontrée.

Tous les roulements ne se valent pas. Certains sont plus faciles à exécuter que d’autres. Cependant les roulements sont globalement une bonne chose, et Optimot favorise quelques roulements fréquents.

En particulier, l’ordre des voyelles est étudié pour favoriser les roulements avec AI, IE, AIE, EU, et IEU.

Les « croisements » sont un peu l’inverse des roulements. Ils interviennent quand une touche de la première rangée est pressée après une touche de la troisième, ou l’inverse, sur la même main. Les doigts doivent faire une sorte de grand écart. Quand un roulement n’est pas possible, on préfère que les deux touches ne soient pas écartées de plus d’une rangée.

Si on écrit beaucoup en anglais, on peut trouver de l’intérêt à permuter le couple [K Y] avec le couple [À J]. On obtient alors un roulement pour « you » au lieu d’un croisement. Pour le français, en revanche ce n’est vraiment pas une bonne idée.

On pourrait se demander si permuter C et D n’augmenterait pas le nombre de roulements en raison des digrammes « c’ » et « cl ». On se priverait alors du roulement « d’ » qui est bien plus fréquent que « c’ », mais on perdrait aussi « ch » qui est bien plus fréquent que « cl ». En fait, « d’ » + « ch » est 6 fois plus fréquent que « c’ » + « cl ». Le choix est donc facile et cet exemple montre aussi que l’intuition est parfois trompeuse.

Ce dernier exemple illustre parfaitement le genre de critères qui ont été pris en considération pour créer Optimot alors même que ceux-ci ne le sont pas dans l’évaluation des dispositions par KLAnext.

Un dernier point à prendre en considération : Optimot est optimisé en priorité pour le français et en second pour l’anglais. On peut trouver quelques permutations de lettres qui favorisent un peu le français, et d’autres qui favorisent un peu l’anglais. J’ai essayé dans ces cas-là de trouver un compromis équilibré.

Optimiser tous les aspects

Après avoir optimisé le placement des lettres, il est naturel de se demander si l’on peut aussi optimiser le placement des chiffres et des symboles courants. Et naturellement, la réponse est oui !

Une première question à se poser est : vaut-il mieux placer les chiffres en accès direct comme sur les dispositions anglo-saxonnes ? Eh bien, ce qui est valable pour l’anglais ne l’est pas forcément pour le français qui a besoin de davantage de caractères. Puisque à, é, è, ç, ^, et ' occupent la zone principale du clavier, des symboles utiles migrent vers la rangée supérieure. Et quand on analyse les fréquences d’utilisation, on constate que ces symboles sont plus fréquemment utilisés que tous les chiffres à l’exception de 0 et 1 qui sont donc les deux seuls qui mériteraient une place en accès direct. Mais un tel choix est trop bizarre pour être retenu.

Tous les chiffres n’ont pas la même fréquence d’utilisation. 0 et 1 sont beaucoup plus fréquents que tous les autres. Viennent ensuite 2359. Enfin 4678 sont beaucoup plus rares. C’est sans surprise que les chiffres utilisés dans les dates et les prix sont les plus courants. Suivant les mêmes principes que pour les lettres, on peut donc trouver des placements de chiffres beaucoup plus optimaux que d’autres. Bien entendu, cela conduit à des placements déconcertants comme 75193 64028.

L’un des moins perturbants est 32109 87654 qui a le mérite de rendre 0, 1, 2, et 9 un peu plus accessibles et de réduire les changements de mains pour saisir des dates. Retenir un tel arrangement est cependant impossible pour une disposition destinée à un large public.

Au mieux, j’aurais pu choisir l’ordre 01234 56789. 1 et 2 sont un peu mieux placés (mais 0 et 9 ne le sont pas) et cette séquence est un peu plus naturelle pour certains. Mais l’inconvénient majeur est que beaucoup utilisent Optimot sur un clavier ordinaire sans même marquer les touches et qu’alors avoir les chiffres décalés d’une position par rapport au marquage est particulièrement trompeur.

Finalement, pour toutes ces raisons, bien que j’aurais beaucoup aimé ajouter une touche d’originalité avec l’ordre 01234 56789 c’est l’ordre traditionnel qui a été choisi.

De l’ordre dans les symboles

La question des chiffres étant réglée, attaquons-nous aux symboles. De très loin, les plus utilisés sont -, ", et =. C’est pourquoi ils sont placés sur les doigts les plus longs et forts (sur un clavier ortholinéaire du moins). Une difficulté supplémentaire est d’éviter les digrammes sur un doigt avec le -.

Quant aux autres symboles de la rangée supérieure, ils doivent être subtilement placés de manière à ce que l’ensemble paraisse ordonné tout en étant optimisé. Ce n’est pas une mince affaire, mais finalement $ «»"-+ */=()@# est apparu comme le plus adéquat. Cet ordre est naturel, aisé à mémoriser – ce qui est très utile quand le clavier n’est pas marqué – et cependant il est optimisé sans en donner l’impression.

Quelques autres symboles méritent une attention. Les usages changent, et avec l’explosion des réseaux sociaux @ et # sont devenus très fréquents au point de mériter une place en accès direct. En revanche, d’autres comme ou % sont uniquement associés aux chiffres, lesquels sont en Shift. Et donc, et % sont en Shift et pas en Alt ou en direct.

Enfin, <>{} sont beaucoup utilisés en programmation et méritent d’être rapprochés. De même, les tirets cadratins et demi-cadratins que les plus littéraires utilisent régulièrement sont placés de manière à éviter de s’étirer les auriculaires.

Des milliers de caractères

Après avoir réorganisé tout ce qui est visible sur le clavier, le travail n’était pas fini pour autant : il fallait encore réorganiser tout ce qui ne l’est pas. Et comme toujours, la partie immergée de l’iceberg est de loin la plus importante.

Tout a commencé avec la touche morte dédiée aux symboles scientifiques. Les auteurs du Bépo ont accompli un immense travail avec celle-ci, mais il m’a semblé qu’on pouvait faire encore mieux. Assez rapidement, il est apparu qu’il est bien plus simple d’organiser les symboles de manière rationnelle si toutes les flèches sont déplacées vers une touche morte dédiée. On gagne ainsi sur plusieurs tableaux : plus de symboles, beaucoup plus de flèches, et le tout mieux organisé. Il y en a surement plus qu’il n’en faut et les curieux y trouveront quelques symboles intéressants pour enrichir leurs documents.

Si les scientifiques avaient gagné une couche science enrichie, il n’était que justice que les littéraires bénéficiassent de la même faveur. Pour cette raison, j’ai complété la touche morte dédiée au Latin étendu avec la totalité de l’Alphabet Phonétique International. C’était encore une fois une expérience intéressante qui m’a permis d’étendre mes connaissances. Et tout comme la science avait gagné sa touche Flèches dédiée, la littérature a gagné sa touche dédiée pour les espaces typographiques et pour les puces. Encore une fois, l’idée est de permettre aux plus créatifs d’avoir accès à de nombreux symboles pour enrichir leurs documents.

Puisque les lettres grecques sont disponibles, il m’a semblé qu’Optimot ne serait pas complet s’il ne donnait pas accès à l’autre alphabet le plus utilisé en Europe : le cyrillique. Dans les deux cas, la question de la correspondance entre ces lettres et les lettres latines se posait, et il était évident que la correspondance traditionnelle utilisée par Azerty laissait à désirer. En plus, les pilotes de dispositions pour Mac offrent la possibilité de rester verrouillé sur une touche morte, ce qui permet de saisir des mots et même des phrases sans qu’il soit nécessaire d’activer une touche morte à répétition. Cette possibilité imposait donc de trouver une meilleure correspondance entre les lettres latines et les lettres grecques ou cyrillique. En priorité c’est la phonétique qui a guidé mes choix de correspondances, et en second lieu la fréquence des lettres et la ressemblance des glyphes. C’est ce qui explique que le С cyrillique est sur le S, tandis que le К est sur le C, ou que le Ш est sur le W et le Ю est sur le Y tandis que le Ч est sur le H et le Н sur le N. J’espère que mes choix paraîtront logiques aux personnes qui ont besoin d’écrire en cyrillique.

Cette possibilité de rester verrouillé sur une touche morte m’a donné l’idée de l’étendre aux exposants, indices, et aux autres jeux de caractères accessibles depuis la touche Science. Il est ainsi plus facile d’écrire des fractions et des formules.

Enfin, j’ai trouvé intéressant d’étendre la fonction de la touche morte dédiée au diacritique rond en chef pour qu’elle permette de saisir des lettres et chiffres cerclés, et des lettres encadrées pour le 🅵🆄🅽. Ma motivation étant toujours d’offrir plus de caractères intéressants pour enrichir vos documents.

Et puisque c’était possible, pourquoi ne pas aussi ajouter les pièces d’Échecs !?

Pour finir… ?

Créer Optimot a été un jeu passionnant. Non seulement, il faut tenir compte de nombreux critères, mais souvent ils conduisent à des choix opposés ! Il faut alors faire appel à son jugement pour décider si sur un point précis il faut privilégier un critère ou un autre. C’est pourquoi, vous pourriez-vous amuser à créer des variantes d’Optimot que KLAnext jugerait plus efficaces, mais le sont-elles en pratique ? Et le sont-elles pour la majorité des gens ? Que cet avertissement ne vous empêche pas d’essayer en tout cas.